Recycler sa litière… à l’infini !

Publié le 5 juillet 2022

Reportage à la ferme

 Par Myra Tremblay, MBA, conseillère en responsabilité sociale d’entreprise  

 Avec la collaboration d’Anthony Poirier de Ferme Louigy et de Philippe Lacerte de Ferme 7 Terres, ainsi que de Juan Pedro Sarramone et Claudia Casaubon, agronomes et experts-conseils en production laitière chez Novago Coopérative.  

 

Il y a environ cinq ans, une réflexion concernant la litière de fumier recyclé (LFR) s’amorce à la Ferme Louigy de St-Casimir. Après avoir effectué leurs recherches et visité plusieurs fermes ayant adopté ce système de séparation et de compostage, ils ont finalement décidé de se lancer. Soucieux de trouver une solution durable et plus confortable pour leurs vaches, ils concrétisent leur projet à l’automne 2021. Six mois plus tard, nous sommes allés à la rencontre d’Anthony Poirier et son frère Maxime pour savoir comment ça se passe dans leur quotidien.  

En entrant dans l’étable, on ne sent pas d’odeurs particulières, et ce, même si la séparation du fumier est en cours. Les vaches ont l’air confortables, bien installées sur ce qui, à première vue, pourrait ressembler à du sable.  

Il s’agit en fait de leur litière recyclée. Anthony nous explique que cette dernière est produite grâce à un procédé de séparation de la fibre et du liquide du fumier. La portion liquide se rend à la fosse, alors que la fibre restante est compostée pour détruire les bactéries. Le compost est ensuite stabilisé et c’est cette matière sèche reposée qui, au terme de trois jours, sera étendue sous les vaches. Comme la matière première nécessaire est produite assurément chaque jour, le cycle se répète ensuite… à l’infini.  

 

Saviez-vous que… 

Une seule vache permet de produire environ huit kilos de litière par jour. Il s’agit d’une quantité légèrement supérieure à celle requise en litière par jour par animal, pour un processus circulaire optimal.  

 

 Quand on parle de circularité, on sous-entend repenser sa chaîne de valeur et optimiser l’utilisation de ses ressources pour éviter le gaspillage, ce qui inclut ses matières résiduelles, dont le fumier produit par son bétail. Le secteur agricole fait face à de nombreux défis environnementaux, car on y produit entre autres des quantités exceptionnellement élevées de résidus, qui actuellement sont peu réutilisés ou recyclés. Le fait de recycler sa litière est donc un brillant exemple de logique circulaire déployée avec succès à grande échelle dans une entreprise agricole. C’est inspirant de voir se concrétiser plus de projets de valorisation des résidus agricoles dans nos régions ! 

 Si c’est d’abord le bien-être animal qui les a convaincus d’opter pour ce type de litière, c’est avec fierté et enthousiasme qu’Anthony nous fait part de ses observations des derniers mois :  

  • Litière très absorbante  
  • Vaches plus propres et pattes sans plaies  
  • Moins de poussière dans l’étable qu’autrefois avec la paille 
  • Diminution majeure des cellules somatiques  
  • Augmentation de la production de lait (1 à 2 kilos par vache) 
  • Aucune vache traitée pour des mammites depuis le lancement  

Juan Pedro Sarramone, agr., expert-conseil à la Ferme Louigy, fait une corrélation directe entre la diminution des cellules somatiques et la hausse de production. L’aspect économique est également non-négligeable. Selon les propriétaires, l’investissement, estimé à environ 125 000 $, sera rentabilisé approximativement en quatre ans. Il faut souligner qu’ils ont obtenu une subvention gouvernementale du PILF pour la réalisation de ce projet. 

Au-delà du bien amortissable à planifier et comptabiliser, il s’avère que ce procédé de valorisation de fumier est un réel avantage stratégique pour la ferme. L’augmentation de la production laitière par vache mène à des revenus plus élevés ; l’amélioration de la qualité du lait permet de toucher aux primes ; la diminution des achats de médicaments mène à des surplus budgétaires ; et l’économie en temps et en diesel nécessaires pour brasser les fumiers permet d’optimiser les autres opérations de production. 

On parle donc d’une réelle économie de temps et d’argent, puisque les Poirier n’ont plus à acheter de ripe, ni à produire et à récolter de paille. Ils peuvent ainsi produire davantage de soya et de maïs, leur octroyant des revenus supplémentaires et plus diversifiés qui augmentent la résilience financière et opérationnelle de leur ferme.  

C’est important pour Anthony de partager son histoire à succès, bien qu’il soit conscient que ce n’est pas parfait chez tous les producteurs. Il espère que son expérience positive permettra de faire connaitre ce système encore méconnu.  

Ce fut d’ailleurs le cas pour la Ferme 7 Terres à St-Sévère, où ce système n’a pas toujours roulé comme sur des roulettes.  

C’est lors de la construction d’une étable neuve et du passage à la robotique que tout est revu : la ventilation, l’éclairage, les logettes creuses, etc. Les propriétaires en profitent également pour passer au système de recyclage du fumier en litière.  

L’investissement, estimé à environ 150 000 $, comprend un système automatisé pour la séparation du fumier et un distributeur de litière sous la même forme qu’un RTM accroché sur des rails au plafond du bâtiment. Tout fonctionne bien sur une période de plus d’un an.  

Claudia Casaubon, agronome et experte-conseil en production laitière chez Ferme 7 Terres, souligne d’ailleurs que la régie y a toujours été excellente : « Ils veillent à ce que tout performe bien et ils sont attentifs au bien-être animal. Ils observent et entretiennent leurs équipements avec rigueur ». 

 

Malgré une bonne régie et sans élément déclencheur connu, certaines problématiques se développent au cours de la deuxième année d’utilisation. Vers 2019, des cas de mammites se déclarent et l’éleveur perd malheureusement des animaux. Bien que ce type de mammite ne soit pas exclusivement observé chez les fermes utilisant la litière de fumier recyclé, le facteur de prévalence de la bactérie y est plus important chez celles-ci.  

Heureusement, depuis 2020, une solution préventive fait son apparition avec l’arrivée d’un vaccin. Depuis, il y a moins de cas, ceux-ci sont moins sévères et plus faciles à traiter, confirme Philippe.  

Malgré certaines embuches, il est satisfait de son système et estime qu’il économise du temps et de l’argent, en plus d’avoir fait des gains de performance. Il gagne aussi en autonomie : avec les sècheresses des dernières années, il n’est plus « dépendant » de la paille produite ou qu’il aurait dû acheter. 

Un autre apport positif est observé quant à la santé des sabots. Les vaches sont au sec et plus propres qu’avant, il est donc plus facile de contrôler le piétin. Également, comme il n’y a pas de ripe ni de paille qui viennent se coller sur le pis, il est plus facile pour le robot de traite de détecter les trayons.  

En conclusion, les deux producteurs rencontrés dans ce reportage sont satisfaits des résultats et des bénéfices techniques, économiques et écologiques obtenus. Et comme nous l’a mentionné Anthony de chez Ferme Louigy lors de notre rencontre : « On ne peut pas aller plus au bout de la chaîne que lorsqu’on recycle du fumier ! ».