Publié le 3 juin 2016
Par Hugues Ménard, T.P. Conseiller spécialisé, La Coop fédérée
Vous me direz, il y a contradiction dans votre titre M. Ménard : trop ou pas disponible?
En fait, voilà bien la problématique que nous vivons actuellement. Depuis quelques années, les besoins du marché ont permis d’augmenter le droit de produire (quota) de 17%. Ceci met un (léger) baume sur la situation du prix du lait, qui semble toujours vouloir baisser plutôt que de suivre l’inflation. Je parle bien ici du prix payé au producteur. En effet, bien que ce ne soit pas la seule solution, dans la plupart des industries on aura tendance à augmenter la production pour, à tout le moins, maintenir le niveau de revenu et garder l’entreprise à flot.
Voilà pourquoi cette augmentation vient à point. Malheureusement, elle arrive à peine à combler le manque à gagner que nous verrons plus loin. Le problème en fait, c’est que nos infrastructures ont des limites à permettre l’augmentation de production sans investissements majeurs : les vaches grossissent et produisent plus, mais pas les étables ni les silos. On en vient donc assez rapidement à manquer d’espace pour loger
les vaches nécessaires pour cette hausse de production.
C’est pourquoi, il y a actuellement autour de 1000 producteurs (près de 20 % du total) au Québec qui se retrouvent sous la barre des 30 jours dans la marge de production et donc, dans le non reportable : du lait qu’on ne pourra plus jamais produire. Comme on le sait, le lait le plus dispendieux est celui qu’on ne fait pas! C’est ici qu’intervient la deuxième partie de mon titre: quand l’étable est pleine, qu’on a tout fait pour maximiser la production, bien il faut souvent penser à bâtir. Mais une nouvelle étable sans achat de quota, ce sont d’énormes paiements de plus, sans revenu en plus, surtout si le prix du lait baisse et le quota pense-t- on, bien il n’y en a pas!
Voilà donc un portrait de la situation de bien des producteurs. Il y a beaucoup de généralité dans ce portrait, mais prenons un exemple précis et examinons la situation de près. Prenons une entreprise laitière qui était bien équipée pour produire 90 kg de quota en 2014: une étable pour 80 vaches dont 65-70 en lactation, une autre étable pour la relève, pas très jeune mais encore convenable. Selon le logiciel économique Coop LEC qui permet d’élaborer différents scénarios, ce producteur efficace produira son quota avec une moyenne selon Valacta sur 305 jours de 11 000 Kg de lait par vache avec des composantes de 4 % en gras et 3,35 % en protéines.
Nous prenons cette efficacité pour acquise puisque selon nous, il faut maximiser la production à l’intérieur des infrastructures qu’on a, mais nous parlons d’infrastructures qui ne peuvent plus supporter plus! Sa situation en 2014, bien qu’au summum de l’efficacité, était vivable. Que se passe-t-il en 2015? D’autre quota à faire, n’ont pas de 8 % à 17 % de quota non-négociable en plus. Un autre baume sur les producteurs; ce quota sera graduellement transformé en négociable afin qu’il n’en reste que 5 % en février 2016, puis complétement négociable en août 2017. Ce transfert augmente la capitalisation de l’entreprise, mais ne change rien au quota à produire par contre.
Cette augmentation porte le quota à 98,1 kg à produire, toujours dans la même étable. Si on garde la même production qui est très respectable dans notre étable (11 000 kg), il faudra sept vaches de plus. Bon! On mettra des vaches taries dans l’étable à taures et on y arrivera. Si on compare les deux situations, toujours avec le LEC, en prenant le prix moyen du lait en 2014 et celui plus bas en 2015 (prix moyen des composantes selon la FPLQ), il faudra donc sept vaches de plus en 2015 pour produire le quota excédentaire, mais la
baisse du prix du lait mène à une baisse de revenu de plus de 8000 $, soit 1,2 %. Notons que dans cette situation, nous risquons d’hypothéquer le futur : vaches taries avec les taures, moins bonnes transitions, désordres métaboliques.
Mais prenons pour acquis qu’une régie exceptionnelle permet de maintenir les résultats. Par contre, on aurait pu faire encore mieux : il y a eu 21 jours supplémentaires en 2015, dans notre exemple, aucun n’a été fait. Pour notre producteur, cela représente plus de 5 kg de quota supplémentaire: pour les produire, en maintenant toujours notre bonne production, il aurait fallu 92 vaches et nous aurions maintenant généré près de 18 000 $ (+2,8 %) de plus de revenu qu’en 2014 malgré la baisse du prix des composantes. Mais nous en sommes maintenant rendus à quelques vaches taries avec les taures, et n’avoir que des vaches en lait dans l’étable à vaches : problème en vue. Le pire scénario aurait été de faire la même production qu’en 2014, une perte de revenu de plus de 42 000 $ (-6,6 %). Donc un écart de 59 000 $ entre le mieux et le pire, strictement au niveau du revenu.
Évidemment, ce 60 000 $, qui ne sera pas nécessairement récurrent (on prévoit 12 jours supplémentaires en 2016), ne permet pas un investissement de près d’un million et demi de dollars pour une nouvelle étable. Mais si on évalue la situation, on réalise qu’on ne pourra plus suivre la cadence, même au niveau actuel de production. Ainsi, le statut quo n’est donc pas envisageable. La vente de ce quota remis ? Peut-être. Et parfois même, c’est la seule solution. Mais peut-être qu’on peut se servir de ce levier pour améliorer la situation de toute l’entreprise. Une nouvelle étable, avec robots par exemple, permettrait de passer de deux à trois traites et donc d’améliorer encore la production grâce aussi à l’amélioration du confort, de la luminosité, etc.
Une étable plus grande qui permet d’accueillir aussi les taures en fin de gestation et ainsi de gagner la course à l’âge au vêlage : passer de 26 à 24 mois représente beaucoup d’économie, tant par la productivité plus rapide (elle commence à rapporter deux mois plus rapidement) que par la diminution du nombre de taures à élever. Une amélioration du suivi de reproduction grâce aux nouvelles installations permet aussi des gains : intervalle de vêlage moins grand, maintien des jours en lait plus bas (155 plutôt que 185) qui permet une meilleure production par vache par jour, etc.
Finalement, ce nouvel espace permet aussi d’envisager d’acheter du quota. On a toujours l’impression qu’il n’y en a pas, mais des producteurs de 80 kg en ont acheté plus de 10 Kg l’an dernier: c’est considérable. Plusieurs opportunités s’offrent à vous avec ce quota. Discutez-en avec votre expert-conseil qui pourra utiliser ses outils pour vous guider le mieux possible dans vos choix.