Le trappeur québécois

Publié le 5 juin 2012

J’ai été élevé au Lac Nominingue, dans les hautes Laurentides. C’est un pays de chasse et de pêche. Le curé Labelle a bien essayé d’y développer l’agriculture en y installant des colons pour défricher la terre et la cultiver, mais il s’est avéré que ces derniers y ont trouvé une terre de sable et de roches avec des forêts de résineux et d’érablières à bouleaux jaunes. Aussi, le nombre d’unités thermiques pour y faire pousser quelque chose n’y était pas très élevé. Il y avait bien quelques brins d’herbe à foin qu’on arrivait à récolter pour nourrir la vache qui donnait le lait à la famille, mais sans plus. Ainsi, les gens, par nécessité de survie, ont développé l’expertise nécessaire pour se nourrir en enrichissant leurs habiletés de chasse et de pêche. Ceci n’est pas seulement de l’histoire ancienne. Je connais des gens qui, encore aujourd’hui, par manque de travail et d’argent, passent leur hiver sur la glace des lacs afin d’y pêcher leur nourriture. Ce n’est pas une blague.

Toujours est-il que j’ai été élevé dans cette culture. Tout le monde n’était pas chasseur et pêcheur, mais mon environnement proche l’était. J’ai été élevé à étendre des collets à lièvre, à attraper des grenouilles et à pêcher le « méné » au filet ou à la canne à pêche. Vers l’âge de dix ans, j’ai été initié à la trappe par mes voisins natifs de l’endroit et ayant un sens de la forêt et des animaux qui y vivaient. Par la famille, oncle Paul, un autre amateur de chasse et pêche, m’a fait le cadeau d’un livre intitulé : « Manuel pratique du trappeur québécois ». C’était un livre écrit par le célèbre Paul Provencher, ingénieur forestier de profession, coureur des bois, grand connaisseur des Amérindiens, peintre-dessinateur, conteur, communicateur. Paul Provencher me faisait rêver par le récit de ses aventures à travers la forêt et m’éduquait en même temps sur les habitudes des animaux, leurs comportements, leurs pistes. Il m’a enseigné aussi sur le respect vis-à-vis eux. La forêt nous nourrit et nous nous devons de la respecter. Un bon trappeur, un bon chasseur, un bon pêcheur n’attrapera jamais plus que ce que l’environnement ne sera capable de lui donner.

C’est la même chose en agriculture. Ne prenons pas plus que ce que la terre nous donnera. Prenons-en soin et elle nous le rendra bien. Il faut y trouver l’équilibre nécessaire. Un bon trappeur sera celui qui saura comprendre le plus possible le comportement animal, ses habitu des de vie, ses habitudes alimentaires, son aire de reproduction, etc.

Un bon éleveur de poulet sera celui qui s’attardera le plus pour bien observer le comportement de ses oiseaux, leur confort nécessaire, leurs habitudes alimentaires, leur comportement reproductif. Un oiseau qui se reproduit bien est un oiseau qui est bien. Il a le confort, la santé, l’alimentation appropriée et l’espace voulu pour aller pondre à l’abri. Aussitôt qu’il y a un élément manquant, la ponte en sera réduite. Pour l’élevage de chair, à part la ponte, c’est la même chose. L’oiseau qui sera confortable, qui aura l’espace nécessaire pour grandir, qui aura l’eau nécessaire et l’alimentation requise aura bon pied, bon oeil et vous en donnera pour votre argent. L’avènement des contrôles par ordinateur, aussi sophistiqués soient-ils, ne remplacera jamais cet acte très simple, mais minutieux, qui est celui de l’observation de nos oiseaux. Les meilleurs éleveurs ne sont pas ceux qui ont les contrôles les plus développés, mais bien ceux qui ont la meilleure observation de leurs oiseaux.

Ainsi en était-il des meilleurs trappeurs québécois de mon enfance.

Par François Lefebvre, agr. M.Sc. Expert conseil avicole, La Coop Novago