Publié le 8 février 2013
Par Lyne Beaumont, conseillère spécialisée à La Coop Fédérée
Tous les producteurs ont bon espoir de pouvoir garder leur luzernière en production pour au moins 5 ans. Est-il rentable de vouloir garder les luzernières en production aussi longtemps? Serait-il avantageux de prévoir des rotations de 3 ans dans la luzerne et d’implanter des prairies de graminées? En faisant quelques calculs on sera en mesure de tirer le maximum des superficies disponibles.
Objectif : tirer le maximum des superficies disponibles
Tout d’abords, les rendements de maïs ensilage permettent d’obtenir une grande quantité de fourrage par hectare et c’est une culture peu risquée presque partout au Québec. En cultivant le maïs sur un précédent cultural de luzerne, nous pouvons réduire la fertilisation azotée et obtenir une augmentation de rendement de 10 à 15 % par rapport au maïs en continu.
Pour l’ensilage d’herbe, les coûts fixes et les coûts des opérations de récolte sont environ les mêmes peu importe le rendement. Cet effet sur la rentabilité est si important que les producteurs doivent absolument viser un rendement élevé dans les plantes fourragères. La baisse de rendement moyenne sans destruction par l’hiver de la luzerne est de 17% pour la 3e année et de 34 % pour la 4e année (l’année d’établissement étant la première année de production). Même en calculant les coûts élevés de l’implantation, la baisse de rentabilité dû à la baisse de rendement après 3 ans est si importante qu’il est plus profitable de semer du maïs ensilage la 4e année!
Et le foin sec? Une vieille prairie de mil et luzerne est habituellement utilisée pour le foin sec, cependant la forte population de mauvaises herbes et la faible densité du mil donne peu de rendement et les coûts de récolte par tonne de fourrages sont très élevés. Il est beaucoup plus rentable d’établir des prairies de graminées destinées à la production de foin sec et de bien les fertiliser.
Passons aux calculs
L’exemple est basé sur les besoins en fourrages d’une ferme de 100 vaches (84 en lactation, 10 vaches taries et 6 vaches en transition). L’entreposage des ensilages se fait en silo tour et le foin sec est pressé en petites balles carrées. Les besoins totaux en fourrage et leurs valeurs sont présentés au tableau 1.
Tableau 1
Type de fourrage |
Quantité (t) |
Valeur ($/t) |
Ensilage de maïs (33 % ms) |
427,05 |
50 |
Ensilage de luzerne (45% ms) |
839.5 |
72 |
Foin sec (88% ms) |
182,5 |
170 |
Les rendements utilisés sont élevés et représentent une régie intensive avec fertilisation minérale. Ils sont présentés au tableau 2.
Tableau 2
Années de production |
Rendements total (t TQS/ha) |
1re année luzerne (2 coupe à l’implantation) |
7 |
2e année luzerne (3 coupes) |
18 |
3e année luzerne (3 coupes) |
15 |
4e année luzerne (3 coupes) |
11 |
5e année luzerne (3 coupes) |
10 |
Ensilage de maïs sur retour de luzerne |
45 |
Ensilage de maïs sur retour de graminées |
38 |
1re année graminées (1 coupe à l’implnatation) |
3 |
2e année graminées (2 coupes) |
7 |
3e année graminées (2 coupes) |
7 |
4e année graminées (2 coupes) |
6 |
Graminées après luzerne (2 coupes) |
4 |
Trois scénarios ont été calculés :
Scénario 1
-Rotation courte de 3 ans en luzerne incluant l’année d’implantation, suivi d’ensilage de maïs et un semis de graminées pour 4 ans
Scénario 2
-Rotation longue de 5 ans en luzerne incluant l’année d’implantation, suivi de 2 ans de graminées et d’ensilage de maïs
Scénario 3
-Rotation longue de 5 ans en luzerne incluant l’année d’implantation, suivi d’ensilage de maïs et un semis de graminées pour 4 ans
Les coûts d’opérations ont été adaptés des budgets de Guy Beauregard et sont les mêmes pour tous les scénarios.
Alors ça coûte combien faire du foin?
Les coûts de récolte de la luzerne et de l’application d’engrais, incluant le coût de l’engrais minérale, sont de 871,36$/ha selon une adaptation des budgets de Guy Beauregard pour trois coupes. Pour une valeur d’ensilage de 72$/t, le rendement doit être d’au moins 12.1 t/ha pour arriver au point mort. Dans l’exemple, à partir de la 4e année, les coûts d’opération sont plus élevés que la valeur du fourrage. Dans les graminées, les coûts de récolte et d’entretien sont de 590,37$, le point mort est de 3,47 t/ha. Le tableau 3 nous donne le coût par tonne récoltés de chaque fourrage.
Tableau 3
Coût à l’hectare |
Rendement |
Coût par tonne récoltée |
|
luzerne étab 1re année |
1 154.16 $ |
7 |
164.88 $ |
luzerne 2e année |
871.36 $ |
18 |
48.41 $ |
luzerne 3e année |
871.36 $ |
15 |
58.09 $ |
luzerne 4e année |
871.36 $ |
11 |
79.21 $ |
luzerne 5e année |
871.36 $ |
10 |
87.14 $ |
mais retour luzerne |
1 391.91 $ |
45 |
30.93 $ |
Maïs |
1 391.91 $ |
38 |
36.63 $ |
Graminées étab 1re année |
859.47 $ |
3 |
286.49 $ |
Graminées 2re années |
590.37 $ |
7 |
84.34 $ |
graminées 3e année |
590.37 $ |
7 |
84.34 $ |
graminées 4e année |
564.24 $ |
6 |
94.04 $ |
Graminées 5e année |
564.24 |
6 |
94.04 $ |
graminées après luzerne |
511.98 $ |
4 |
128.00 $ |
Sur la totalité de la superficie nécessaire pour un troupeau de 84 vaches en lactation, la marge sur les débours est de 174.60 $/ha pour la rotation de trois ans de luzerne et implantation de 4 ans de graminées séparée contre 78,60 $/ha pour la rotation longue de 5 ans de luzerne servant pour le foin sec la 6e et 7e année. Dans notre exemple, les superficies non nécessaires pour les fourrages ont été ensemencées en soya. (tableau 4)
Tableau 4
scénario 1 | scénario 2 | scénario 3 | |
Marges |
18 241.99 $ |
10 004.22 $ |
12 719.70 $ |
Hectares fourrages |
104.5 |
127.3 |
113.3 |
hectares supplémentaires |
22.8 |
0 |
14 |
Marge soya |
477 |
477 |
477 |
Marges totales |
29 117.59 $ |
10 004.22 $ |
19 397.70 $ |
Mage à l’hectare de fourrage |
174.5644498 |
78.58772192 |
112.2656399 |
C’est clair que les rendements en plantes fourragères ont un impact majeur sur la rentabilité des entreprises, mais peu de producteurs connaissent leurs coûts réels de récolte dans les fourrages. Et peu de producteurs ont des rendements de luzerne moyens supérieurs à 12,1t/ha! Les rotations courtes sont un moyen efficace pour améliorer la performance économique des entreprises (Graphique 1). Et implanter des prairies de graminées est une étape vers plus de rentabilité.
Graphique 1
Conclusion
Les rotations courtes (3 ans de luzerne incluant l’année d’implantation) sont beaucoup plus rentables. Les calculs sont basés sur des luzernières implantées sans plante abri. La profitabilité des fermes laitières passe par les fourrages qui sont à la base de l’alimentation. Malheureusement, les producteurs ont souvent une idée fausse du coût de production de leur fourrage. Les coûts des opérations de récolte sont sous-estimés. Il faut profiter des rendements élevés des premières années de luzerne, de la meilleure survie à l’hiver des jeunes plants et de l’augmentation de rendement du maïs ensilage dans la rotation. Et il faut faire une rotation courte, même si ça peut vouloir dire labourer un beau champ en apparence!
Références :
Value of Short Rotation for Alfalfa Profitability, Dan Undersander, Ken Barnett, UW Extension;
Wisconsin Alfalfa Yield and Persistence Project, UW Extension;
Economics of Alfalfa and Corn Silage Rotations, Ken Barnett, UW Extension;
Crop Rotation and Conservation Tillage, Greg W. Roth, associate professor of agronomy, PennState University;
A long-term look at crop rotation effects on corn yield and response to nitrogen fertilization, Antonio P. Mallarino, Enrique Ortiz-Torres, Iowa State University