Agricultrice à l’ère des réseaux sociaux

Publié le 3 juillet 2020

Par Mélisa Tranchemontagne, technicienne aux communications

La productrice laitière Mylène Bégin est copropriétaire de la Ferme Princy à Sainte-Germaine-Boulé en Abitibi. Avec plus de 22 000 abonnés sur son compte Instagram, elle nous parle de son expérience et du lien qu’elle fait entre l’agriculture et les médias sociaux.

Pour commencer, peux-tu nous faire un bref historique de votre ferme, ainsi qu’un portrait de votre troupeau et de vos installations ?

Mon frère et moi faisons partie de la 4e génération d’agriculteurs sur la ferme, qui a vu le jour en 1942. Nous en sommes aujourd’hui copropriétaires avec mon père. Notre troupeau compte 120 bêtes, dont 55 vaches en lactation.

Au niveau des installations, les vaches en lactation sont en stabulation entravée et la relève en stabulation libre sur des copeaux de bois. Les veaux débutent dans des parcs individuels, pour être ensuite transférés dans un parc en groupe alimenté à la louve, jusqu’au sevrage à 70 jours de vie. Nos vaches taries sont attachées jusqu’au dernier mois de gestation, où elles sont transférées dans des parcs de vêlage individuels. L’étable des vaches en lactation a été construite en 2001 et des travaux sont en cours pour rénover complètement les stalles, mangeoires et matelas. En 2017, une nouvelle construction a été ajoutée pour les génisses et la bâtisse originale a également subi un grand rajeunissement.

Tu es très présente sur les réseaux sociaux, plus précisément sur Instagram avec ton compte @meumy_n_princy. Peux-tu nous expliquer comment cela a commencé ?

J’ai ouvert mon compte Instagram lors d’un voyage laitier en Alberta : je voulais partager mon expérience de là-bas avec les gens d’ici. Ce voyage a été suivi d’une visite à la World Dairy Expo du Wisconsin. J’y ai rencontré des Australiens qui m’ont eu aussi invité à travailler à leur ferme et à participer à l’International Dairy Week (IDW) chez eux, en Australie. À mon retour au Québec, je voulais aussi partager notre type d’élevage et nos techniques aux gens que j’avais rencontrés là-bas.

Cinq ans plus tard, tu te retrouves maintenant avec plus de 22 000 abonnés. Que partages-tu maintenant sur ton compte ?

Par le biais de publications, sous forme de photos, de textes et de stories, je démystifie plusieurs mythes reliés à l’agriculture, surtout en lien avec à la production laitière. Par exemple, pourquoi sépare-t-on la vache du veau dès la naissance ? Ou, pourquoi est-il impossible de retrouver des antibiotiques dans le lait canadien ?

Je partage bien simplement et humblement mon quotidien à la ferme. Je crois que l’aspect du partage en direct attire certainement l’attention de la communauté. Les gens sont amateurs de télé-réalité, on le voit bien avec la popularité d’émissions comme L’amour est dans le pré.

Comme la population est de plus en plus concernée par le bien-être animal et l’environnement, je fais aussi la promotion des pratiques respectueuses que nous mettons en application au quotidien. Également, je souhaite faire connaitre que de hautes études sont reliées à l’agriculture et qu’une femme peut très bien pratiquer ce métier et en faire tout autant qu’un homme.

 

Quelle mission t’es-tu donnée à travers cette plateforme ?

Une des missions principales que je me suis donnée est de conscientiser les gens à l’achat de produits laitiers affichant le logo de la vache bleue des Producteurs laitiers du Canada.

Dans mes stories, je tente de faire comprendre que ce logo encourage bien plus que l’achat local. Il fait non seulement rouler l’économie d’ici, mais il diminue également les besoins liés au transport, ce qui impacte directement l’environnement.

J’exprime que si l’on veut faire un petit geste pour notre planète, ce n’est pas en s’engageant dans une diète à base végétale et en important des avocats du Mexique, du soya du Brésil et des amandes de la Californie que nous allons réellement y arriver. C’est en encourageant nos producteurs de fruits et de légumes saisonniers, de volailles, de bœuf, de porc et toutes les autres productions bien d’ici que nous ferons un grand pas vers l’avant. Nous sommes riches en diversité alimentaire au Québec et au Canada grâce à nos terres fertiles et aux éleveurs passionnés, il faut en profiter !

Peux-tu nous parler un peu des amitiés qui sont nées à travers tes réseaux sociaux ? À quoi ressemble la communauté agricole 2.0 et que t’apporte-t-elle ?

Plusieurs belles amitiés se sont créées grâce aux réseaux sociaux. La toute première personne dont j’ai fait la connaissance est Maude Fontaine (@maudeefarmer) de la Ferme Fontabel en Estrie. Nous nous sommes rencontrés à la Royal Winter Fair de Toronto en 2015 et à la IDW en janvier 2016 en Australie.

À l’été 2019, j’ai pris des vacances pour aller rencontrer deux autres productrices avec qui la connexion amicale était présente sur les médias sociaux. Je suis d’abord allée voir la construction en cours chez Jeanne Dumont (@agcowmom) et son conjoint, à la ferme Denis Goyette, en Montérégie. La connexion a été immédiate, c’est comme si nous nous connaissions depuis des années. Alors que je les connaissais depuis une heure à peine et malgré le fait que j’étais en vacances, je leur ai donné un coup de main pour faire la traite. Nous avons ensuite partagé un souper et une soirée agréable tous ensemble. Jeanne et sa petite famille sont également venues me rendre visite en Abitibi en janvier dernier.

Le lendemain, je suis allée faire la rencontre de Myriam Ledoux (@dairy_farmher) de la Ferme Maranie Holstein, toujours en Montérégie. Quoi de mieux pour aller faire la rencontre d’une mordue de belles vaches que d’assister ensemble au jugement Holstein de l’exposition agricole de Saint-Hyacinthe ? De ces jasettes entre passionnées est née une belle amitié.

Lorsque la situation actuelle le permettra et que les travaux reliés à la ferme nous en laisseront la chance, nous nous ferons un événement toutes les quatre avec grand plaisir. Nous sommes en contact régulièrement pour nous donner des nouvelles, mais aussi des trucs relativement à nos réalités d’agricultrices. Bien que nous soyons éloignées par le nombre de kilomètres qui nous séparent, Instagram nous a permis de nous rapprocher en partageant quotidiennement notre passion commune pour l’agriculture.

C’est beau de voir l’amitié, le partage et l’entraide qui est ressortie de ces rencontres virtuelles. Mais tout n’est pas toujours rose… je crois que tu as été victime de cyberintimidation de différents groupes et individus ? Comment as-tu géré cela ?

Au début, je ne comprenais tout simplement pas ce qui se passait. Le premier commentaire du genre a été écrit sous une publication photo où je tenais une génisse dans mes bras afin de la transférer d’un parc individuel au parc de groupe. Le commentaire était le suivant : « Et vas-tu l’apporter de cette façon à l’abattoir ? ». C’est là que j’ai compris que le public manquait peut-être d’informations. Pourtant, plus je faisais de publications en lien avec la production, plus je recevais des messages d’insultes.

Le pire moment a été lorsque CBC News m’a approché afin de faire un article sur moi pour « célébrer » mes 10 000 abonnés. La visibilité de cet article étant à l’échelle nationale, j’ai commencé à recevoir environ 200 messages de nature haineuse tous les jours, et ce jusqu’à ce que l’article tombe aux oubliettes et que les extrémistes passent à autre chose. Je me levais une heure plus tôt le matin, seulement pour filtrer tous les messages d’attaques du genre « menteuse », « violeuse », « sadique », « sans cœur », « meurtrière », etc. Je peux vous garantir que ça démarre bien mal une matinée.

J’ai pensé à tout fermer et à abandonner mon compte, mais j’ai plutôt décidé d’en faire mon cheval de bataille : les gens ont besoin de se faire informer de la bonne façon et non par le biais de campagnes basées sur la peur et la violence. De plus, je ne voulais pas leur laisser le sentiment de victoire. Donc, pour le bénéfice de la population non agricole qui est intéressée par mon histoire, j’ai décidé de continuer ce que je fais.

Justement, est-ce que tu sens que tu as réussi à éduquer certaines personnes qui ne viennent pas du milieu sur des mythes reliés à l’agriculture ?

Certaines personnes me contactent avec une information mensongère, mais elles m’approchent remercier de les avoir éclairées sur le sujet et elles reconnaissent l’expertise des agriculteurs.

Malheureusement, la majorité des gens qui viennent m’écrire des insultes sont fermés et préfèrent garder l’idée de l’élevage et de la production qu’ils ont vu dans un quelconque documentaire en ligne, plutôt que de s’informer auprès de sources fiables.

Je reste toujours ouverte à répondre aux questions des gens, pourvu que les échanges restent dans le respect.

Le partage de tes connaissances et le message que tu transmets font certainement une différence, félicitations pour ton engagement !