Nous ne travaillons pas dans un film de Disney!

Publié le 6 décembre 2017

Innover en gestion_Jeune homme

Un jour, dans un petit village du Québec, Joé, un jeune homme de 21 ans, tue la directrice de son école primaire. Un drame évidemment terrible, surtout pour une communauté de 600 personnes. Sœur Laurette était aimée de tous. En plus d’avoir enseigné au village au complet, elle était impliquée dans les activités de la paroisse. Elle était devenue, en quelque sorte, la mère de tout le monde!

Joé, lui, en fait, voulez-vous vraiment savoir qui il était?

L’avez-vous déjà jugé?

Allons-y. Joé, rejeté du village, déambulait et traînait partout. En réalité, Joé venait d’une famille étrange, vous savez, le genre que personne ne veut côtoyer. Dès son entrée scolaire, il fait office de fou de l’école, voire du village, en raison de ses comportements. Sa mère, Marielle, sans avoir les mêmes problèmes, avait aussi vécu une vie de rejet, une vie difficile.

Sœur Laurette n’aimait pas les chats. Un jour, elle dit à ses élèves qu’il fallait se débarrasser du chat de gouttière qui rôdait dans la cour de l’école. Au retour de la récréation, Joé, sourire aux lèvres, chat à la main, rentrait fier de lui d’avoir tué le chat. En raison de ce geste, Joé et sa mère furent convoqués auprès de la directrice. Se sentant en confiance et en espérant obtenir de l’aide, Marielle qui, depuis 40 ans, gardait son histoire secrète, pris son courage et raconta tout à la religieuse. Une vie de souffrance, d’inceste et de sévices subie par elle et son fils. Pleins d’espoir, ils comprirent pourtant, après quelques années, que sœur Laurette ne dirait jamais rien à la police.

N’en pouvant plus, un jour, par vengeance, Joé tua sœur Laurette…

Alors, sans justifier le meurtre, il est plus complexe de porter un jugement, ne trouvez-vous pas?

Cette histoire provient d’une pièce de théâtre marquante que j’ai vue il y a quelques semaines*. Évidemment, la pièce est plus complète que ce résumé, mais je trouvais que cette histoire exposait bien les nuances de gris de la vie; que tout n’est pas seulement blanc ou noir. Nous pouvons aussi faire un parallèle avec la gestion.

Existe-t-il des employés rejetés dans une entreprise, ceux que les coéquipiers jugent inefficaces? Malheureusement, oui. Entendons-nous bien, une entreprise se doit d’être performante, mais elle a aussi une responsabilité à l’égard de l’efficacité de ses salariés. Inévitablement, si l’équipe juge qu’une personne n’a pas sa place et que la direction n’agit pas, nous avons là les parfaits ingrédients pour nuire à la personne concernée, l’équipe et même l’entreprise au complet. Effectivement, il y a des exceptions, mais elles doivent être gérées au cas par cas.

Le travail n’est qu’une partie de la vie d’une personne. Il se passe bien des choses dans l’autre volet. Nous sommes tous confrontés à des situations telles que la mort d’un proche, un divorce, une chicane de couple, la rébellion de nos enfants, des ennuis financiers, la maladie, etc. Et ce n’est pas vrai qu’en franchissant la porte de l’entreprise, tout ce qu’on traîne restera dehors en attendant la fin de notre journée. Imaginez que votre enfant est malade et que financièrement vous avez de la difficulté à joindre les deux bouts. Malgré le manque de sommeil et vos préoccupations, vous rentrez au travail. La première personne que vous croisez vous dit que vous avez l’air fatigué. La deuxième demande quand vous lui remettrez le dossier en retard. Plus tard, en réunion, votre patron vous demande de vous fixer une date pour l’atteinte de votre objectif, car vous êtes clairement en retard par rapport à vos collègues. En ne faisant pas attention à vous, ces remarques se répètent et s’accentuent parce que vous avez de la difficulté à rattraper le retard. Des ennuis professionnels s’ajoutent maintenant à vos problèmes personnels. Il est très facile dans ces situations de se retrouver pris dans une spirale de laquelle il n’est pas simple de sortir!

Si, en ce moment, vous pensez à une personne à votre travail, détrompez-vous. Personne n’est à l’abri de cette spirale. Un employé admiré de tous peut en devenir le rejet.

Qu’arriverait-il si cette personne travaillait dans un milieu où la culture d’entreprise considère que les employés sont le bien le plus précieux, que l’entraide est priorisée et que les dirigeants agissent en ce sens?

Cela ferait toute une différence parce que l’équipe serait consciente qu’il peut y avoir des périodes de l’année où c’est plus difficile pour une personne et ils chercheraient à comprendre et à l’aider, au lieu de parler dans son dos et dire qu’elle est incompétente.

Cette situation me rappelle un événement qui me marque encore aujourd’hui. Il y a 14 ans, je suis allé au Mali, en Afrique noire, avec Jeunesse Canada Monde. Une expérience mémorable. Trois jeunes Canadiens et sept Maliens, côte à côte, faucille à la main, prêts à récolter une acre de riz. Bien que les Canadiens fussent vraiment mauvais pour ce travail, nous sommes pourtant tous arrivés au bout en même temps. Nous avons commencé et terminé en équipe, parce qu’on nous avait placés — les Canadiens—, entre-deux Maliens qui coupaient le riz que nous n’étions pas capables de couper. Cela, dans le but d’avancer tous au même rythme. Après deux heures de travail (à suer comme je n’ai jamais sué), moi et les deux autres Canadiens avons arrêté de travailler pour regarder les Maliens. Eh bien, ils ont travaillé toute la journée en avançant ensemble, même s’ils n’ont pas tous la même efficacité. Je suis convaincu que si nous n’avions été que des Canadiens, chacun aurait coupé son corridor et les plus efficaces seraient assis au bout du champ, à attendre que les plus lents terminent leur rangée.

Nous avons tous des réalités différentes et nous pouvons tous vivre des périodes plus difficiles. Un employé peut devenir inefficace en raison de problèmes personnels, de conflit au travail, de processus flou ou d’attentes imprécises. Si nous nous efforçons de résoudre la source du problème, nous aurons des équipes beaucoup plus performantes et cette personne sera certainement reconnaissante de notre effort d’entraide.

Il est facile de distinguer le bon du méchant dans un film de Disney. Au travail et dans la vie, il y a plusieurs couches de nuance, de revirement et de complexité.

*Le cas Joé Ferguson: les racines de la violence, Théâtre du Trident

Jacques LeBlanc, agr., Lean Master

Directeur développement des affaires et communications