Gestion agricole au féminin

Publié le 22 novembre 2017

La gestion d’entreprise agricole a longtemps été une affaire de gars. Il fut même une époque où un père, sans fils à qui transférer la ferme, s’en remettait à un gendre. Qu’en est-il en 2017? Le Progrès a discuté avec trois Lanaudoises, Mélanie Robert, Marie-Ève Rivest et Joanne Pagé, qui ont accepté de partager leur vision de la gestion d’une entreprise agraire.

Ferme Berty, Saint-Ambroise-de-Kildare

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Mélanie Robert opère une ferme laitière de quelque 50 vaches laitières en copropriété avec sa mère, Gisèle Pellerin. L’entrée dans le monde de la gestion agricole n’a pas été une promenade dans un parc pour Mélanie. « Mon père ne me voyait pas vraiment en agriculture. Je lui ai dit que j’allais faire un DEP (diplôme d’études professionnelles, offert au secondaire), juste pour voir si j’allais aimer ça. Il m’a lancé un défi. Il m’a suggéré d’aller faire un DEC (diplôme d’études collégiales) en gestion agricole. Je ne l’ai jamais regretté. »

Après avoir travaillé à l’extérieur de la ferme, pour « prouver que j’étais capable de faire ça », Mélanie a intégré la ferme familiale. Au fil des ans, elle s’est chargée de la gestion des vaches, des champs, des employés et plus récemment de la comptabilité. Elle se décrit comme une gestionnaire prudente. « Je veux savoir si j’ai les moyens de réaliser mes projets. »

Le dernier gros chantier de la ferme Berty a été l’installation d’un robot de traite. Mélanie a fait ses devoirs et visité plusieurs fermes avant de présenter le projet à sa partenaire. « Nous sommes 50-50 dans la ferme et j’ai besoin de parler des investissements avec ma mère. Une fois d’accord, nous sommes allées de l’avant. »

Mélanie Robert est fière du chemin parcouru et estime posséder de bonnes qualités de gestionnaire au même titre que n’importe quel homme. « Je pense être aussi bonne. Pas plus, pas moins! »

Ferme Rémy Rivest Senc

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Marie-Ève Rivest gère un troupeau laitier à Saint-Liguori, au sein d’une ferme qu’elle possède avec son père Rémy et son frère Alexandre. L’entreprise fonctionne sous la formule de société en nom collectif (SENC). Tous ont les mêmes pouvoirs. Marie-Ève exerce une influence médiatrice sur la ferme. « Le rôle de femme sur l’entreprise c’est pas juste le travail manuel, parfois c’est pour adoucir les esprits des hommes. Comme nous sommes parfois moins fortes physiquement, nous apportons une manière différente de travailler », explique-t-elle.

Cette approche se retrouve aussi dans les réunions d’équipe quand vient le temps de prendre des décisions. « Mon père est très attaché à ses façons de faire et mon frère est très moderne. Il veut aller beaucoup plus vite. Je propose une solution pour faire avancer l’entreprise sans bousculer mon père. »

Marie-Ève n’a jamais senti qu’elle manquait de respect dans son statut de gestionnaire. « Je pense que les femmes ont pris le dessus depuis quelques années. Les pères ont laissé plus de place aux filles. Je m’implique dans l’UPA (Union des producteurs agricoles) et je sens que j’y ai ma place. On ne me demande plus je suis la fille de qui. On me demande qui est mon père. »

Comme entrepreneure, Marie-Ève Rivest ne sent pas qu’elle doit être supérieure à un homme ni plus performante. « La performance c’est une limite que l’on se met à nous. Ce que les autres pensent, je ne m’en occupe plus, ou moins avec le temps. Je crois que les hommes pensent comme ça aussi. »

La rentabilité a le dessus sur les records de production dans la gestion de Marie-Ève. Elle ne dit pas non aux hautes statistiques de ses vaches, mais dans le futur. « Étape par étape. Rien ne presse. »

Ferme N.J. Pagé inc.

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La Ferme N.J. Pagé de Sainte-Élisabeth compte deux propriétaires actifs : François et Johanne. N’oubliez pas de serrer la main de Johanne si vous brassez des affaires avec eux. Votre compte sera bon. « Parfois des gens appellent ici pour acheter du grain, ils me disent que s’ils ne parlent pas à mon frère, il n’y aura pas de business. Je raccroche et il n’y a pas de marché, explique l’agricultrice et femme d’affaires qui a su faire sa place.

« C’est ce qui me met le plus en colère, c’est qu’une femme gestionnaire en agriculture, ce n’est pas pris au sérieux. Ça doit être meilleur qu’un homme. Oui, même en 2017. J’ai même invité un camionneur à retourner d’où il venait parce qu’il ne voulait pas qu’une femme charge son camion. » Un type qui ne veut pas parler affaires avec Johanne ne sera pas chanceux à la ferme N.J. Pagé. « Je m’occupe de la comptabilité, de l’achat des grains, de la vente des grains, de l’achat des intrants en plus des opérations de culture. » Elle et François se partagent les tâches de la façon suivante : Johanne passe le vibroculteur, bat les grains de céréales, de soya et d’azuki (haricots secs). Elle gère également le plan de séchage, car elle doit savoir exactement ce que les silos contiennent, étant celle qui voit aux transactions. Johanne Pagé n’hésite pas à prendre des risques dans ses choix d’affaires.

François se charge des semis, du nivellement des champs, de l’application des pesticides, du transport de grains et du battage du maïs. Le reste du temps, c’est la mécanique. Les décisions se prennent à deux, tant dans l’achat de machinerie ou d’équipement que d’acquisitions de terre. Le tout est dans un but d’équilibre et de rentabilité. « Les installations et le forfait sont en fonction de pouvoir opérer à deux à 90 %. Je veux une vie de famille. Je suis plutôt maternelle et c’est important pour moi. Je ne peux pas vous dire combien d’heures de batteuse mes enfants ont faites, mais ça ne les a pas trop traumatisés, car mon fils Alexandre fait présentement son cours en gestion et technologie d’entreprise agricole et mes filles veulent que leurs futurs enfants viennent avec moi battre du grain. »

L’agriculture a eu le dessus dans la vie de Johanne. Avant de suivre les traces de son père, elle étudiait en médecine nucléaire. L’appel des champs a été plus fort que tout. « Je ne le regrette pas un seul instant. »

 

Stéphane Payette T.P., Expert-Conseil en productions végétales